Incendie de Lubrizol : de vrais changements a posteriori ?
L’incendie de l’usine Lubrizol, survenu à Rouen, en septembre 2019, est un événement marquant dans le domaine de la sécurité industrielle et de la gestion des risques liés aux incendies. Quatre ans plus tard, la Direction Générale de la Prévention des Risques (DGPR) dresse le bilan des actions menées.
Quelle conclusion pouvons-nous tirer des actions menées par l’État suite à l’incendie de l’usine Lubrizol ?
1. le contexte de l’incendie de Lubrizol
Le 26 Septembre 2019, à Rouen, un incendie se déclare à l’usine Lubrizol et aux entrepôts de Normandie Logistique.
LES SITES
L’usine Lubrizol
L’usine Lubrizol, classée Seveso seuil haut, synthétise et stocke des produits chimiques destinés à être utilisés comme additifs pour lubrifiants. Le site se divise en 3 zones principales :
- Des ateliers de fabrication.
- Des bacs de stockage de grande contenance.
- Des zones d’entreposages couverts et à l’air libre de produits conditionnés de petites et moyennes contenances.
Le 31 mars 2014, un Plan de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) a été approuvé par un arrêté préfectoral.
Les magasins
Le deuxième site est un site d’entreposage autorisé par l’administration sous le statut de magasins généraux. Il entrepose des produits conditionnés de l’usine Lubrizol dans 4 bâtiments couverts, dont deux mitoyens avec l’usine.
Le traitement des déchets
Le troisième site est spécialisé dans le traitement des déchets.
LES ÉVÉNEMENTS
Dans la nuit du 26 au 27 septembre 2019, un incendie est constaté sur les installations d’enfûtage et d’entreposage par un des agents présents et les services de secours sont immédiatement alertés. 240 pompiers et 200 camions sont mobilisés sur le site pour éteindre et maitriser l’incendie. L’usine Lubrizol semble être le point de départ de feu mais les causes restent inconnues. Si le feu est rapidement maitrisé, la fumée est présente sur une surface très étendue.
2. Les conséquences de Lubrizol
CONSÉQUENCES HUMAINES
Aucun décès et aucun blessé grave n’est à déplorer. Une dizaine de personnes ont été hospitalisées pour une courte durée après l’accident. En outre, aucun suivi sanitaire n’a été mis en place malgré l’exposition de la population aux produits chimiques et la contamination de l’environnement.
CONSÉQUENCES ENVIRONNEMENTALES
Une fumée noire, épaisse et odorante s’est étendue sur 6km de large et environ 22km de long. Des retombées de suies ont été observées jusqu’à 100km. La préfecture de Seine-Maritime affirme que cette fumée ne présente aucun risque de toxicité aiguë.
Les chercheurs concluent également à une contamination de l’environnement mais pas de pollution au-dessus des seuils autorisés.
CONSÉQUENCES ÉCOMONIQUES
Les conséquences économiques de l’incendie de Lubrizol sont difficilement quantifiables, au regard du nombre de secteurs touchés (hôtellerie, restauration, agriculture, les industries à proximité et les bâtiments touchés…). Pour le secteur agricole, les experts s’accordent à dire que les pertes financières sont supérieures à 50 millions d’euros :
- 216 communes concernées par les arrêtés préfectoraux interdisant les récoltes.
- 3000 agriculteurs touchés.
- 700.000 litres de lait jetés chaque jour pendant 18 jours.
- 40 à 50 millions d’euros de préjudices estimés pour le secteur agricole.
- 1760 salariés en chômage partiel.
3. Les recommandations gouvernementales post-Lubrizol
Suite à cet incident, la Première Ministre, Elisabeth Borne, a présenté un plan d’actions, basé sur les recommandations du CGEDD-CGE, sur la mission d’information de l’Assemblée nationale et sur la commission d’enquête du Sénat. Plusieurs axes sont retenus.
AXE 1 : RENFORCER LA PRÉVENTION DES RISQUES INDUSTRIELS
L’accident de Lubrizol permet de tirer plusieurs enseignements afin d’éviter que l’histoire se reproduise : il faut impérativement renforcer la prévention des risques industriels.
Dans les stockages de liquides inflammables et combustibles
La présence d’une nappe enflammée conduisant à la propagation de l’incendie permet d’identifier plusieurs points d’amélioration :
- Cuvettes de rétention : l’adéquation des cuvettes de rétention des liquides afin de réduire les risques de création d’une nappe large.
- Conditions de stockages : questions des liquides inflammables dans des grands récipients pour vrac.
- Liquides combustibles : prise en compte des volumes dans le dimensionnement des mesures de sécurité.
- Emulseurs : présence suffisante pour éteindre un incendie.
Dans les entrepôts
S’agissant des entrepôts, les points relevés sont les suivants :
- Seuil : augmentation du seuil séparant le régime de l’enregistrement du régime de l’autorisation.
- Renforcement des règles de sécurité : tenue minimale au feu avant effondrement, disponibilité et débits d’eau, mise en place d’un plan de défense incendie, règles d’exploitation du stockage dans les entrepôts existants pour éviter d’affecter des installations voisines.
- Renforcement des mesures : pour limiter le développement des incendies dans les entrepôts.
- Suppression du saucissonnage : le classement dans la nomenclature ICPE en fonction du site au global et non plus en fonction des stockages de matières.
Dans les installations à proximité des sites Seveso
Les ICPE sont dans l’obligation d’analyser les agressions externes potentielles (inondations, risques d’incendie…). Le gouvernement a donc identifié plusieurs axes d’amélioration :
- Renforcement des études de dangers et des évaluations des effets des incidents pouvant survenir dans leurs installations.
- Recensement de tous les sites ICPE implantés à moins de 100m des sites Seveso et d’identifier les sites sensibles.
- Contrôle plus poussé des ICPE présents dans ce périmètre qui ont fait l’objet d’un droit d’antériorité à l’occasion de changement de la nomenclature.
Les autres mesures attendues
Pour tous les sites, le gouvernement souhaite que :
- Eviter l’effet domino : en améliorant la communication entre sites voisins.
- Mise en œuvre des meilleures techniques de sécurité lors du réexamen des études de dangers.
AXE 2 : ANTICIPER ET FACILITER LA GESTION TECHNIQUE D’UN ACCIDENT
Afin d’anticiper et de faciliter la gestion d’un accident, le gouvernement propose plusieurs actions :
- Mise à disposition de la quantité et de la nature des produits présents : les exploitants des sites SEVESO et des principaux entrepôts et sites de tri devront mettre en place un suivi quotidien des matières présentes dans chacune des parties des sites et dans un format numérique accessible via un cloud.
- Listing des produits de décomposition : l’étude des dangers intègrera toutes les informations pertinentes sur les produits de décomposition susceptibles d’être émis (y compris bâtiment, contenants) lors d’un incendie qui seront répertoriées en fonction de la quantité et de la toxicité.
- Fréquence des exercices des Plans d’Opération Interne : tous les ans pour les sites Seveso seuil haut et tous les 3 ans pour les autres sites soumis à l’obligation de disposer d’un POI.
AXE 3 : AMÉLIORER LE SUIVI DES CONSÉQUENCES SANITAIRES ET ENVIRONNEMENTALES
Le gouvernement souhaite améliorer le suivi des analyses effectuées après un accident :
- Professionnalisation du réseau RIPA pour apporter un haut niveau de garantie sur les délais de prélèvements et Intégration de l’INERIS dans le dispositif de répartition géographique des moyens complémentaires.
- Elargissement des missions de la cellule CASU aux conséquences environnementales.
- Définir des valeurs de référence sur une famille de polluants pour comparer les valeurs mesurées aux valeurs usuelles.
- Protocole de suivis des denrées alimentaires et des aliments pour les animaux.
- Intégration dans les POI des opérations de nettoyage et de remise en état après un accident.
AXE 4 : RENFORCER LES CONTRÔLES
L’incendie de Lubrizol rappelle au gouvernement l’importance des contrôles à mener sur ces sites. C’est pourquoi l’Etat prévoit plusieurs actions :
- Augmentation de 50%/an des contrôles.
- Création d’un bureau d’enquête sur les accidents les plus importants pour tirer les enseignements.
4. Les évolutions réglementaires
L’arrêté du 24 Septembre 2020 précise la réglementation relatif au stockage en récipients mobiles de liquides inflammables, exploités au sein d’une ICPE soumise à autorisation. Quant à l’arrêté du 22 Septembre 2021, celui-ci vient modifier les arrêtés du 24 Septembre 2020, du 3 Octobre 2010, du 26 Mai 2014 et du 4 Octobre 2010.
POUR LES ÉTABLISSEMENTS SEVESO
Les principales évolutions sont :
- POI obligatoires pour tous les sites Seveso.
- Intégration dans le POI des moyens prévus par l’exploitant pour mener les premiers prélèvements et analyses environnementaux.
- Intégration dans le POI des moyens prévus par l’exploitant pour la remise en état et le nettoyage de l’environnement.
- Fréquences minimales d’exercice des POI sont renforcées.
- Formation du personnel et tout intervenant extérieur sur la conduite à tenir en cas d’accident/incident.
- Intégration dans l’étude des dangers des principaux types de produits de décomposition susceptibles d’être émis en cas d’incendie.
- Recensement des technologies éprouvées et adaptées permettant une amélioration de la maitrise des risques.
- Mise à disposition des éléments des rapports de l’assureur portant sur les mesures de prévention et de maitrise des risques.
POUR LES STOCKAGES DE LIQUIDES INFLAMMABLES ET COMBUSTIBLES
L’arrêté du 24 septembre 2020 relatif au stockage en récipients mobiles de liquides inflammables et l’arrêté du 24 septembre 2020 modifiant l’arrêté ministériel du 3 octobre 2010 encadrent le stockage des liquides avec mentions de danger H224-H225-H226, les dangers toxiques pour l’environnement et/ou pour l’homme, les déchets liquides inflammables catégorisés HP3.
Ces textes ajoutent également d’autres obligations :
- Interdiction des récipients mobiles pour le stockage de liquides inflammables de propriété de danger H224 et H225.
- Renforcement des prescriptions relatives aux stockages des liquides inflammables (conditions, implantations, conception…).
- Renforcement des prescriptions relatives aux moyens de lutte incendie.
POUR LES ENTREPÔTS DE MATIÈRES COMBUSTIBLES
L’arrêté du 11 avril 2017 est modifié par le décret 2020-1169 et par l’arrêté du 24 septembre 2020. Le décret prévoit une modification de la nomenclature des ICPE en élargissant le régime de l’enregistrement des rubriques 1510, 1511, 1530, 1532, 2662, 2663 afin de considérer l’entrepôt dans son ensemble et de limiter les doubles classements. Les autres prescriptions sont les suivantes :
- Obligation d’un PDI dans tous les entrepôts, peu importe le régime administratif.
- Interdiction des récipients mobiles susceptibles de fondre pour stocker les liquides inflammables non miscibles à l’eau de propriétés de danger H224 et H225.
- Eloignement des stockages extérieurs par rapport aux parois.
- Vérifier l’absence d’effet domino thermique.
- Dispositions renforcées pour les cellules des entrepôts contenant des liquides/solides combustibles se liquéfiant en cas d’incendie.
- Application à l’ensemble des entrepôts (A et DC) des dispositions relatives à l’état des matières stockées.
- Mise à disposition des rapports des assureurs sur les produits de décomposition en cas d’incendie, sur la disponibilité des moyens de mesure associés et sur les obligations de formation des intervenants internes et externes.
LES AUTRES PRESCRIPTIONS
Le décret 2020-1168 prévoit d’autres prescriptions :
- Pour le préfet :
- Renforcement de ses pouvoirs dans le cas d’une installation faisant l’objet d’une déclaration d’antériorité.
- Possibilité d’exiger une étude relative à la sécurité.
- Sur l’état des matières stockées :
- Détails, zone par zone, des matières dangereuses stockées et répertoriée au regard de l’inflammabilité et de la toxicité.
- Mise à jour de ce listing quotidiennement sur un outils informatique accessible partout + inventaire physique annuel.
- Listing, zone par zone, des produits hors matières dangereuses.
5. Les premières conclusions de l’action nationale
La Direction Générale de la Prévention des Risques tirent les premières conclusions de l’action nationale. 3 installations étaient prioritaires :
- Le stockage de matières combustible en entrepôts couverts (relevant de la rubrique 1510) à autorisation ou enregistrement.
- Les installations relevant du régime de l’autorisation, ayant une activité de stockage de liquides inflammables en récipients mobiles et/ou réservoirs aériens.
- Les installations relevant du régime de la déclaration pour des liquides inflammables.
Les objectifs principaux étaient de :
- Vérifier la situation administrative au regard des évolutions récentes et sensibiliser les exploitants.
- Contrôler la bonne mise en œuvre des premières échéances réglementaires.
- D’apporter une vision pédagogique pour les échéances à venir.
Voici le bilan global des installations inspectées jusqu’au 15 Octobre 2023 :
En dehors des points de non-conformités les plus fréquentes, tous types d’établissements confondus (état des matières stockées, étude des flux thermiques et contrôle périodiques des ICPE soumis à déclaration), d’autres éléments importants ont été constatés par l’inspection.
POINTS DE NON-CONFORMITÉS DES ENTREPÔTS
Bilan 2023
Focus sur la sécurité incendie
Détection Incendie
Obligations
La détection incendie doit actionner une alarme audible en tout point du bâtiment et assurer le compartimentage des cellules sinistrées.
Constats
L’inspection a relevé plusieurs points de non-conformité :
- Absence/non fonctionnement de la détection incendie.
- Alarme non perceptible en tout point du bâtiment, notamment en période d’activité.
- Non asservissement de l’alarme à la détection incendie.
- Intervention humaine pour déclencher l’alarme.
- Absence de justificatif d’adéquation avec les matières stockées.
- Absence de maintenance régulière des systèmes de détection incendie.
Dimensionnement des moyens en eau
Obligations
Le débit et la quantité d’eau nécessaire font l’objet d’une étude technique et sont plafonnés à 720m3/h durant 2h.
Constats
L’inspection a constaté que les exploitants étaient dans l’incapacité de justifier de la suffisance des moyens de lutte contre l’incendie et notamment des débits en eau.
Exercice incendie
Obligations
L’exploitant doit organiser un exercice de défense contre l’incendie dans le trimestre qui suit le début de l’exploitation. Cet exercice comprend un exercice d’évacuation, un exercice dans lequel l’exploitant met en œuvre des moyens de détection et de défense incendie, des mesures d’alertes et d’information.
Constats
L’inspection a relevé que les exercices incendie se limitaient à un exercice d’évacuation. Or, cet exercice d’évacuation est un élément de l’exercice de défense incendie.
Plan de défense incendie
Obligations
Un plan de défense incendie est établi par l’exploitant et il comprend :
- Les schémas d’alarme et d’alerte.
- L’organisation de la première intervention et de l’évacuation face à un incendie en périodes ouvrées.
- Les modalités d’accueil des services d’incendie et de secours en périodes ouvrées et non ouvrées.
- Les plans de l’installation.
- Les techniques des moyens incendies.
Constats
L’inspection a relevé que certains exploitants n’avaient pas formalisé de PDI, ou que ces derniers n’ont pas été envoyés aux services de secours et/ou mis à jour.
POINTS DE NON-CONFORMITÉS DES LIQUIDES INFLAMMABLES
Bilan 2023
Focus sur la sécurité incendie
Stratégie de défense incendie et POI
Obligations
Le Plan d’Opération Interne (POI) est un document opérationnel d’aide à la décision décrivant l’organisation, l’intervention et les moyens disponibles sur un site pour faire face à un sinistre majeur.
Constats
Les principaux points relevés pour les POI sont :
- La modification de site non répercutées dans le POI.
- Les dispositifs de prévention et de lutte contre l’incendie ne son pas mentionnés dans le POI.
- L’absence de tous les scenarii.
Les principaux points relevés pour la stratégie incendie sont :
- L’absence des calculs déterminant les besoins en eau et en émulseur
- L’absence de certains scénarios
- Les calculs ne retenant pas le principe du cas le plus défavorable.
- La quantité d’eau non disponible en volume et/ou débit suffisant.
Autres points
Dans le cadre de la sécurité incendie, l’inspection a relevé d’autres éléments notoires :
- Absence de poteaux incendies.
- Absence de confinement des eaux d’extinction incendie.
- Encombrement des voies d’accès pompiers.
- Absence de renouvellement des formations des opérateurs.
À retenir
Depuis l’incendie de l’usine Lubrizol, le Gouvernement a mis en place de nombreuses actions, suivies par les DREALS. Toutefois, il est clair que de nombreux progrès restent à faire dans le domaine de la sécurité incendie afin de ne plus réitérer ce qu’il s’est passé.